Graffitis chocs sur dessous chics

Lorsque vous aurez lu ceci, probablement vous direz-vous comme moi : heureusement que l'imbécilité de certain(e)s extrémistes ne les a pas tué ... (ou malheureusement) !

Dans tous les cas, nous aprécions les pubs Aubade. Espérons qu'elles continueront encore longtemps d'égayer les tristes murs de nos villes.

Fabienne et Laurent

Objet du désir pour les uns, objet sexuel pour les autres, la femme en petite tenue sur grand format échauffe les esprits. Cette année, slogans féministes et autres inscriptions squattent les pubs de lingerie. Retour d’une certaine pudibonderie ou simples coups de griffe rageurs?

Caroline Zingg
17 décembre 2002
"FAIS-MOI PLAISIR, ARRACHE CETTE AFFICHE!" Ces graffitis, signés "H&MACHO", s’inscrivent parfaitement dans l’image, jouant avec le mannequin comme avec le sigle de la marque.

"PROBLÈME No1: LA DOMINATION MASCULINE!" Dans ce cas, la calligraphie est maîtrisée.

Humour potache, féminisme vindicatif ou retour d’une morale pudibonde? Cette année, les affiches de publicité vantant la lingerie féminine titillent particulièrement l’imagination des graffiteurs. Si la traditionnelle campagne de décembre de H&M est un classique en la matière, suscitant chaque année des commentaires plus ou moins raffinés, d’autres affiches dénudées sont à leur tour visées. Et la tendance 2002 est teintée de féminisme. Exemples: sous le feutre des tagueurs, les leçons très particulières d’Aubade deviennent un "Problème No 1: la domination masculine". Ou encore un "H&Macho" colle à la peau d’Izabella Scorupco, l’ex-James Bond girl qui pose en baby-doll pour la marque suédoise. Une campagne qui se veut d’ailleurs très soft, comme le souligne Laurence Jordil, responsable chez H&M: "Elle porte deux nuisettes l’une sur l’autre, parce que ce vêtement est très transparent."

Alors, pourquoi tant de tags? "Nous notons une hypersensibilité grandissante vis-à-vis du corps dénudé et le retour d’une certaine pudibonderie, observe Arsène Villar, directeur Vaud de la Société Générale d’Affichage. Nous n’avons jamais eu autant de courriers de communes qui se plaignent, concernant notamment l’affiche de la Belle-Epoque (n.d.l.r.: cabaret lausannois)." Que des pubs kitsch un brin criardes choquent, passe encore, mais qu’en est-il d’images esthétiques, en noir et blanc? "C’est la première fois que les affiches d’Aubade, une campagne qui dure pourtant depuis plusieurs années, sont taguées", relève Arsène Villar.

Problème No 2: ce qui est un hymne "à la gloire de la femme" pour les uns devient une image la réduisant à un "objet sexuel" pour d’autres. Si Jean-Henri Francfort, directeur d’une agence de pub lausannoise, souligne lui aussi "la résurgence d’une certaine pruderie", il affirme être "dérangé par une attaque systématique contre tout ce qui touche à la sexualité". Les associations féministes ne le voient pas du même œil, forcément: "J’assimile la pub Aubade à une certaine forme de pornographie, dénonce Andrée-Marie Dussault, rédactrice en chef de L’émiliE, mensuel féministe suisse. On rapproche souvent le discours féministe d’un discours puritain. Ce n’est pas le cas. Maintenant que les femmes sont libres, il faut qu’elles soient des putes."

Mardi 17 décembre 2002

PUBS SEXY
Esprits échauffés

Les affiches prises pour cible en Suisse Romande.

 pubs sexy

 

Les femmes en auraient-elles vraiment marre des chutes de reins et des paires de seins? "Peut-être qu’il ne faut pas jouer toujours avec les mêmes stéréotypes, avance Cornelia Harder, managing director de la grande agence zurichoise Publicis, qui note elle aussi "une plus grande sensibilité dans le public", en dénonçant au passage le "politically correct" en vogue: "Aujourd’hui, on doit être correct avec tout le monde, les animaux, les enfants, les femmes." Reste que, pour la publicitaire, "les nouvelles réactions féminines vis-à-vis d’une approche sexiste peuvent se justifier par l’émancipation des femmes dans la société actuelle. Pour vanter un produit qui leur est destiné, il faudrait que le message soit valorisant pour elles." De quoi faire réfléchir les créatifs...

Leçon No 50: ne pas négliger l’aspect économique. Depuis qu’Aubade donne des cours de séduction, la marque a augmenté de 30% son chiffre d’affaires.

JEAN-PIERRE KELLER
"Ce ne sont pas des graffitis gratuits"

Pour ce professeur de sociologie de l’art et de l’image aux Universités de Genève et de Lausanne, les publicités pour les sous-vêtements ne sont pas comme les autres

Pourquoi les publicités pour les sous-vêtements déchaînent-elles les passions?
Habituellement, une campagne de publicité vante les mérites d’un produit qu’elle cherche à vendre. Dans le cas de la lingerie, il ne me semble pas que cela soit toujours le cas. Prenons par exemple la leçon No 48 d’Aubade. On y voit une femme très cambrée. C’est une image véritablement sexuelle, celle d’une femme qui s’offre. Alors que l’on parle d’un produit destiné à la femme, on fait appel au regard de l’homme. La beauté des seins ou des fesses que l’on retrouve sur cette affiche est ambiguë. Car ce qui est mis en avant, ce n’est ni le soutien-gorge ou la culotte, mais ce qu’il y a dessous. Sans oublier que, en poussant le raisonnement, l’enchaînement des leçons numérotées d’Aubade s’apparente au "Kama-sutra".

Comment interpréter ces graffitis?
Ce ne sont pas des graffitis gratuits, comme des dessins obscènes rajoutés sur certaines affiches ou ceux que l’on peut retrouver dans les toilettes pour hommes. Ces slogans ont un sens politique, au sens large. L’écrivain et cinéaste français Guy Debord a prôné ce genre de détournement et l’a pratiqué à grande échelle, notamment en mai 68. En rajoutant des messages insérés dans des bulles, il a réussi à rendre des publicités ridicules.

Montrer des femmes en petite tenue semble choquer, mais comment parler de lingerie sans le faire?
Je ne crois pas que ce soit le fait de montrer des femmes en sous-vêtements qui choque. C’est l’aspect sexiste et aliénant que peuvent ressentir les féministes en voyant des affiches comme celle d’Aubade qui les font réagir. Dans les catalogues de grands magasins, il y a également des publicités pour de la lingerie. Et elles ne heurtent personne, car, même si on y voit des femmes belles et bien faites, l’image reste simple.

Propos recueillis par Sébastien Jost

© Le Matin

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